La qualité de vie au travail, de quoi parle-t-on ?

Clarisse Vincent
Clarisse Vincent
24/11/2020
5
min

L’émergence de la santé au travail

Le XVIIIe siècle voit naître la nosologie, l’anatomie pathologique, la chirurgie… mais c’est au cours du XIXe siècle que la santé devient peu à peu un champ de connaissance et la médecine une science. C’est aussi à cette époque que les sciences sociales commencent à se développer et que la société devient un objet d’étude (début des statistiques, de la psychiatrie et de la psychologie…). Cela dans une perspective à la fois philanthropique, scientifique, mais aussi économique. Une société qui fonctionne bien est aussi une société plus rentable.

C’est à la croisée de ces deux disciplines qu’émerge progressivement la question de la santé au travail : à la fois enjeu scientifique, social et économique.

C’est d’abord l’État qui prend en charge la santé au travail. Louis René Villermé, à la fois médecin et sociologue, publie un rapport sur les manufactures lyonnaises : Tableau de l’état physique et moral des ouvriers employés dans les manufactures de coton, de laine et de soie (lien vers l'ouvrage sur le site de la BNF). Ce texte marque les esprits et inspire la loi de 1841 sur le travail des enfants dans les manufactures, usines ou ateliers : l’âge minimum pour travailler est fixé à 8 ans dans les entreprises de plus de 20 salariés, et la journée de travail limitée à 8 heures pour les 8-12 ans.

Un système social d’aide et de préservation de la santé des travailleurs se met progressivement en place. En 1910, le Code du travail est présenté à l’Assemblée et le Ministère du travail et de la prévoyance sociale voit le jour en 1906.

Les théories du facteur humain

C’est de souci de préserver la santé des travailleurs et d’augmenter leur productivité que naissent les théories du facteur humain : le collaborateur ne travaille pas avec la même efficacité selon ses conditions de travail. C’est pour cette raison qu’il est nécessaire d’étudier et de mettre en place l’environnement adéquat à une productivité optimale.

La rupture introduite par la qualité de vie au travail

La notion de qualité de via au travail (QVT),bhéritière de ce paradigme, marque cependant une rupture : il n’est plus seulement question d’optimisation, mais également du travailleur lui-même. Comme la notion de RPS (Risques psychosociaux), la notion de QVT permet de rester vigilant au bien-être des salariés, sans oublier pour autant la rentabilité. C’est également dans cette perspective que sont créés en 1982 les CHSCT (Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail en 1982), instance représentative du personnel dans l’entreprise.

L’État définit la qualité de vie au travail comme suit : « La notion de qualité de vie au travail renvoie à des éléments multiples, relatifs en partie à chacun des salariés mais également étroitement liés à des éléments objectifs qui structurent l’entreprise. Elle peut se concevoir comme un sentiment de bien-être au travail perçu collectivement et individuellement qui englobe l’ambiance, la culture de l’entreprise, l’intérêt du travail, les conditions de travail, le sentiment d’implication, le degré d’autonomie et de responsabilisation, l’égalité, un droit à l’erreur accordé à chacun, une reconnaissance et une valorisation du travail effectué. Ainsi conçue, la qualité de vie au travail désigne et regroupe les dispositions récurrentes abordant notamment les modalités de mises en œuvre de l’organisation du travail permettant de concilier les modalités de l’amélioration des conditions de travail et de vie pour les salariés et la performance collective de l’entreprise ». (« Accord national interprofessionnel du 19 juin2013 "Qualité de vie au travail").

Les enjeux de la qualité de vie au travail

La qualité de vie au travail s’appuie sur l’intelligence collective, mais également le savoir et les connaissances d’experts en RPS, pour engager des actions autour de plusieurs thématiques comme :

- Le management hybride,

- Les postes de travail

- La prévention de l’absentéisme

- La structuration du collectif quand l’organisation se modifie.

- L’ambiance générale

La Docteure Stéphanie Palazzi, Médecin psychiatre, spécialiste du monde du travail et consultante qualité de vie au travail explique pour ARISTAT Conseil les enjeux de la qualité de vie au travail :

« La qualité de vie au travail repose à mon sens sur quatre dimensions qui sont interdépendantes.

 Il est essentiel que le travail fasse sens

Le sens peut être lié à un désir personnel, mais il peut également se dessiner par et pour le collectif. Ici, le collectif est pensé comme l’équipe, mais également l’organisation dans son ensemble et peut-être même la société. C’est pourquoi le management à un rôle crucial : il peut impulser du sens, animer une organisation autour d’un sens commun. Seulement, pour que le sens soit véritablement partagé, cela suppose que l’organisation tienne compte de la parole de l’ensemble des salariés et acceptent les boucles de rétro-actions.

La parole doit être dite et entendue

Non seulement, il est nécessaire que les collaborateurs puissent s’exprimer et être entendu, mais il est également fondamental que le management prenne la parole à propos des difficultés ou des réussites de l’entreprise. Une organisation sans parole est une organisation vouée à l’échec.

La parole doit avoir un ancrage dans la réalité, elle ne peut être seulement discours. Le déni de la difficulté réelle ou même de l’impossibilité d’exercer son travail met le collaborateur dans une situation difficile à vivre. Une parole paradoxale est également problématique : d’une part on reconnaît la difficulté mais sans rien changer aux conditions objectives de travail.

L’autonomie de chacun permet confiance et créativité

L’autonomie laisse au salarié les moyens d’organiser son travail dans un cadre clair et explicite.

Les conditions de travail

L’ergonomie du poste de travail, la gestion du temps, la politique salariale… tout cela participe de conditions de travail favorisant la qualité de vie au travail. Il me semble que l’entreprise court toujours le risque d’un glissement de la QVT vers la seule santé au travail. Il ne faudrait pas, qu’en dépit des discours, la QVT soit uniquement portée par les services de santé au travail qui exercent un rôle d’écoute et d’alerte. De bonnes conditions de travail, la prévention et la gestion des RPS sont un facteur crucial d’une politique de qualité de vie au travail et il ne faudrait pas que cet aspect disparaisse progressivement, au profit d’une prise en charge individuel de salariés surmenés.

Finalement, la qualité de vie au travail reste une question de conditions de travail et de politique Rh impliquée dans la vie de l’entreprise ».

En attendant les 2 prochains articles sur la qualité de vie au travail, vous pouvez lire cet article fort instructif de notre partenaire OLYSTIC pour les baromètres et questionnaires collaborateurs, sur le bonheur au travail et son lien avec les risques psychosociaux.

Clarisse Vincent
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